"Chômage des secrets bien gardés" (extraits: ambiance à l'ANPE !)

 

par Fabienne Brutus (01-04-2006)

 

Page30-32 : « Nettoyage par le vide »

«En matière d’épuration statistique, certains directeurs d’agence n’hésitent pas à employer le terme de «nettoyage». Quelles méthodes mettent-ils en oeuvre ? L’information ne transite que de manière verbale. Elle est purement descendante et administrée une fois par semaine en réunion de service. Les consignes données sont donc à peu près inconnues du grand public.

Entendu lors de ces grands-messes : «Vous me mettrez toutes les femmes de ménage en catégorie 3 : on sait bien qu’on ne peut pas occuper ce type de poste à temps plein.» Fronde des agents, qui refuseront d’accomplir cette tâche. Qu’à cela ne tienne, la direction finit par se charger elle-même, en trois coups de clic, du (sale ?) boulot. Envoyer les « agents de salubrité », « techniciens de surface » et autres « agents de ménage en collectivité » dans la catégorie (in)appropriée. Au compte-gouttes, les agents réintégreront, quand ils en rencontreront une, les femmes de ménage, dans la catégorie 1, officielle, qu’elles n’auraient jamais dû quitter. C’est le tonneau des Danaïdes. « Tiens, vous ne cherchez pas un travail stable ? » Stupeur de l’intéressée : « Ben si…pourquoi vous dites ça ?—Ah, c’est bizarre, vous êtes inscrite en catégorie 3, ça veut dire que vous cherchez un complément, quelques heures en plus… et puis aussi que vous n’êtes pas comptabilisée comme chômeuse. Quand ils parlent du chômage à la télé, quand ils disent que ça baisse par exemple, eh bien ils ne vous comptent pas. Vous voulez repasser en catégorie 1 ? »

Ce sont majoritairement les animateurs d’équipe qui effectuent ce type de transfert d’une catégorie à l’autre. Les « pôles appui » (services administratifs) s’en chargent également, s’appuyant sur les déclarations de reprise d’emploi temporaire. Parfois le trucage a démarré avant l’ANPE, lors de l’inscription qui a lieu auprès de l’Assedic. Le chômeur approuve une recherche de mi-temps… notamment, et nous arrive codifié en catégorie 2. « Vous ne cherchez qu’un mi-temps ? — Bien sûr que non, je prendrai ce que je trouverai. »

Fin 2005, des monticules de courrier étaient adressés aux chômeurs déclarant une activité. Nous avons pourtant accès aux données des Assedic, nos fichiers étant en partie communs. Les périodes de travail déclarées et versements effectués ne peuvent nous échapper. Les profils des chômeurs sont plutôt bien renseignés : « Vous cherchez des heures complémentaires, vous êtes employée de maison 14 heures par semaine ». Malgré cela, les directions ont ordonné l’envoi de courriers exigeant du chômeur une entrevue (a priori difficile à obtenir, puisque ce dernier est occupé à un travail précaire) ou un courrier d’excuses.

Tous les contrats de travail reçus en retour ont servi à basculer en catégorie 3 les chômeurs (quand ce n’était pas déjà fait). Contrat précaire ou pas, ils ont tous glissé dans l’oubli, sans l’ombre d’un avertissement, c’est le comble. Quand ils n’ont pas été radiés purement et simplement ! C’est tout l’intérêt de la manoeuvre : les chômeurs qui ne répondent pas à temps sont rayés des listes. Convoquer les gens qui travaillent les dissuade de rester inscrits. En théorie, un intérimaire a parfaitement le droit d’être présent dans nos fichiers. Dans la pratique, cela devient de plus en plus difficile. À la même période, les stages de remobilisation se sont propagés comme des traînées de poudre. Refuser d’y participer, c’était se condamner à être radié.

Un chômeur de longue durée (CLD) est un « actif au chômage depuis plus d’un an 9 ». Il est pourtant quasiment impossible de trouver en fichier un CLD de plus de trois ans : ça n’existe pas. Pourtant, bien des chômeurs le disent, qu’ils cherchent depuis dix ans…

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Dans "Chômage, des secrets bien gardés", Fabienne Brutus, conseillère à l'ANPE de Limoux, dans l'Aude, a pris le risque de perdre son emploi pour dénoncer une action de plus en plus coercitive envers les demandeurs d'emploi. Elle raconte comment l'agence se spécialise dans les offres d'emploi temporaires, mal payées et peu qualifiées, quitte à contraindre les chômeurs. - 20minutes.fr