La presse a récemment révélé que le patron d’Europe 1 avait consulté Nicolas Sarkozy pour l’aider à recruter le journaliste politique en charge de suivre l’UMP. Un choix important, à un an des élections présidentielles. A partir de cet événement, on va s’interroger sur une question qui n’est pas nouvelle mais qui demeure d’actualité : la relation entre les pouvoirs politiques, économiques et médiatiques.D’abord, le rappel des faits : que s’est-il réellement passé ?Cette affaire de connivence entre Elkabbach patron d’Europe 1 et Sarkozy a été révélée il y a 3 semaines par plusieurs journaux dont le Canard Enchaîné. Nicolas Sarkozy a affirmé qu’il était normal qu’on le consulte avant de nommer un journaliste et que c’était une pratique tout à fait courante. JP Elkabbach a dû s’expliquer auprès des journalistes d’Europe 1. Il a reconnu les faits en ajoutant qu’il était « normal de consulter les politiques » pour « justement recruter des journalistes pas trop près du pouvoir ». On appréciera la logique et la bonne foi …On a toujours parlé des rapprochements entre journalistes et politiques. N’est ce pas normal ou du moins inéluctable ? En tout cas il faut le dire et le redire ! On entretient trop l’illusion d’une presse libre. Le journal de 20h est encore trop souvent appréhendé comme la référence. La preuve du malaise : ce mini-scandale a été très peu relayé dans la presse, souvent par des articles assez complaisants. Quel journal a enquêté suite à l’affirmation de Sarkozy comme quoi c’était une pratique générale ?Heureusement les Guignols de l’info permettent d’entretenir l’illusion de démocratie en feignant de s’indigner. En parodiant Elkabbach qui appelle Sarkozy, ils dédramatisent, ils normalisent ; finalement, c’est pas si grave, puisqu’on s’en indigne …Alors il faut tout de même rappeler que Elkabbach, longtemps à France Inter et Europe 1, c’est une dépendance légendaire à l’égard du pouvoir giscardien. Il a été contraint de démissionner de la présidence de France Télévision en 96 suite à un mini-scandale. Mais pas d’inquiétude, depuis 10 ans il a retrouvé ses marques à la tête d’Europe 1 et en tant que conseiller spécial de Jean-Luc Lagardère, le PDG de Matra, groupe d’aéronautique et d’armement. Lors du décès de celui-ci, Elkabbach affirme à l’antenne d’Europe 1 : « son esprit continuera de m’inspirer ».Finalement le plus grand danger n’est-il pas dans le rapprochement entre média et monde économique ?Eh oui, Europe 1 appartient au groupe Lagardère, Elkabbach ami d’Arnaud Lagardère, qui est lui-même très proche de Sarkozy. Au moins on est confiant sur le traitement de l’info concernant le groupe Lagardère, l’armement en général, et l’UMP sur Europe 1.En France, les médias ont été concentrés en grands groupes industriels en particulier d’armement avec Dassault et Lagardère, mais aussi Bouygues, PPR. Par exemple Largardère détient des titres tels que Paris-Match, le journal du Dimanche, Elle, La Provence, mais aussi Europe 2, RFM, des chaînes télé comme Canal J, MCM, des participations dans Canal Sat, des maisons de production, et dans l’édition bien sûr avec Hachette et Time Warner Book qu’il vient de racheter.On aime s’indigner de la situation de l’Italie où Berlusconi gère l’Etat comme une entreprise et détient un groupe de presse tout en dirigeant le pays. On se dit « nous on en est pas là » ; on oublie que l’intrication étroite des trois pouvoirs médiatique, politique et économique est une tendance générale : le trio Elkabbach, Sarkozy, Lagardère en est une illustration parmi d’autres. Mais après tout les journalistes ne sont pas en contact direct avec les actionnaires. Ne peut-on pas compter sur leur déontologie ?L’influence du monde économique n’est plus à démontrer depuis que Serge Dassault a déclaré qu’il allait inculquer des idées saines au Figaro. Il y a 1000 exemples comme l’interview de Noah dans Paris-Match tronquée pour cause de critiques anti-Sarkozy.Mais outre la dépendance vis à vis de l’actionnaire, le plus préoccupant c’est l’influence des annonceurs. On se souvient du président de TF1 qui explique que son job c’est de vendre du temps de cerveau disponible. Ce n’est pas l’honnêteté des journalistes qui est en question. Ils sont le plus souvent victimes du système. D’ailleurs, l’exemple de M6 démontre que la déontologie des journalistes ne suffit pas toujours.Je me base sur l’enquête publiée dans Télérama sous le titre « coupure pub sur M6 ». Elle part du scandale récent du documentaire sur la Française des Jeux qui a été censuré par la direction de M6. Ce sujet est passé dans l’émission Capital tellement vidé de son contenu que l’auteur a refusé de le signer. Il révélait que la répartition des gains n’était pas si aléatoire que ça. Les témoignages de vendeurs et buralistes, l’argumentaire d’un joueur qui attaque en justice ont été coupés. Le directeur de l’info a lui même totalement réécrit le sujet en cachette, à l’insu de la rédaction et de l’auteur. Et oui car la Française des Jeux, c’est le 14ème annonceur. Un budget de 12 M Euros pour M6 en 2005. Il y avait déjà eu des cas similaires sur M6 avec des reportages sur Renault, Ikéa, ou l’Oréal, un autre gros annonceur. Selon la Société Des Journalistes de M6, on a affaire à un niveau de censure jamais atteint. Les directeurs de l’info agissent en censeurs pragmatiques ; ils ne disent rien tant que le sujet ne nuit pas aux intérêts économiques de la chaîne.Cela ne concerne pas que les sujets économiques. Il y a également un impact sur la ligne éditoriale politique. Pourtant on ne peut pas imaginer qu’il y ait des consignes explicites dans les rédactions ?Bien sûr que non, pourtant on retrouve des points de vue unanimes de la part des éditorialistes sur des sujets comme la constitution Européenne, la flexibilité de l’emploi. Le phénomène est très bien expliqué par Pascal Durand dans une analyse publiée par Acrimed. Selon lui, cette unanimité est tacite. D’une part les principaux éditorialistes n’arrivent à leur place qu’après avoir fait la preuve de leur adhésion au système qui les emploie, d’autre part, « le journaliste, comme tout agent social, incorpore spontanément les contraintes de son environnement professionnel ». Cette déférence vis à vis de l’ordre établi se retrouve même sur des antennes comme France Inter. Comment faire en sorte que les médias conservent un rôle de contre-pouvoir indispensable à la démocratie ?Pascal Durand fait 6 propositions simples dans une analyse publiée par Acrimed.- Appliquer les règles en vigueur : ne décerner la carte de presse qu’à des professionnels ; Respecter le principe selon lequel le Journaliste n’intervient pas en cas de lien personnel ou institutionnel avec son domaine d’observation.- Créer un Conseil Supérieur des Médias qui se tiendrait à l’écoute des journalistes de la base, souvent précarisés et mieux informés que quiconque des dérives de la profession. Selon les avis rendus par cette instance, il reviendrait à l’État de casser les situations monopolistiques, de supprimer les aides publiques en direction des médias au service d’intérêts privés- Développer et valoriser les médias alternatifs : Rezo.net, acrimed.org : une bouffée d’oxygène !- Assurer l’indépendance des écoles de journalisme vis à vis des intérêts privés. L’enseignement doit être fait par les professionnels de la base et non par les élites journalistiques- P Dunand demande aux médias de mieux accepter la critique. Il constate que les médias dominants se présentent comme un contre-pouvoir et un lieu de débat démocratique, mais sont l’instance qui tolère le plus difficilement que la critique soit retournée contre elle.- Enfin P Dunand demande aux journalistes de se fédérer et de s’allier avec les intellectuels pour stopper cet impératif de concision et de sensation qui résulte en une pensée stéréotypée et conformiste. Refuser de faire des sujets toujours plus courts et de participer à des débats biaisés.Comme quelqu’un l’a dit mieux que moi à propos de France Inter : à force de ne pas être impertinents, les médias dominants ne sont plus pertinents.MichelLes chroniques de Michel sur Radio Aligre Comment se réapproprier démocratiquement l’information ? – Acrimed - Pascal Durand, 23 Fév 2006http://www.acrimed.org/article2283.htmlSarkozy, conseiller en recrutement d’Elkabbach : de quoi enflammer les rédactions ?http://www.acrimed.org/article2286.html
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